Monsieur le président du Sénat,
Monsieur le président de l’Assemblée nationale,
Mesdames et messieurs les ministres,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Mesdames et messieurs les ambassadeurs,
Madame la présidente du Comité National pour la Mémoire et l’Histoire de l’Esclavage,
Mesdames et messieurs,
Nous sommes le 10 mai. Et le 10 mai, c’est la journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions. Pourquoi cette date ? Parce que c’est ce jour-là que fut adoptée à l’unanimité par le Sénat en 2001 la loi TAUBIRA, dont je salue ici la présence.
Pour la première fois, la République reconnaissait la réalité de l’esclavage et la considérait comme un crime contre l’humanité.
Depuis 2006, chaque 10 mai, est organisée une cérémonie pour que ne soit oublié ce que fut la tragédie de l’esclavage et du combat pour son abolition.
D’autres dates servent aussi de points de repère.
Dans les outre-mer, chaque territoire a son moment de recueillement : le 27 avril à Mayotte, le 22 mai en Martinique, le 27 mai en Guadeloupe, le 10 juin en Guyane et le 20 décembre à La Réunion.
Le 23 mai, ce sont les victimes de l’esclavage qui sont honorées. Cette année, Victorin LUREL représentera la République à l’inauguration de deux monuments à Sarcelles et à Saint-Denis. Ces œuvres sont le fruit des efforts du « Comité de la marche du 23 mai » animé par Serge ROMANA qui a permis à de nombreux Antillais de retrouver la trace de leurs ancêtres africains ainsi que l’origine de leur nom.Puisqu’ils en avaient été privés, comme pour mieux nier leur existence.
Le souvenir requiert un travail et je tiens à saluer les artisans de la mémoire.
Ainsi, Luc SAINT-ELOI, qui a conçu la belle exposition, visuelle et sonore, installée aujourd’hui dans le jardin du Luxembourg.
Mais aussi les membres du Comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage, qui aident la Nation à se rappeler ce que fut la traite négrière. Cette déportation en masse qui a duré plusieurs siècles à l’échelle de plusieurs continents. Cette monstrueuse entreprise qui a considéré qu’un être humain, à cause de la couleur de sa peau, pouvait être réduit à l’état de marchandise. Cet outrage fait par la France à son propre honneur et à sa propre grandeur avec le Code noir de 1685 qui ravalait les esclaves au rang de « biens meubles ».
Mais ce n’est pas tant cette blessure profonde qui est rappelée aujourd’hui, que la longue lutte qui a permis de s’en affranchir.
Un mouvement où se rencontrent l’Hexagone et les outre-mer, avec des héros glorieux, avec la grande figure de Toussaint Louverture ou anonyme, avec des combats qui sont rappelés dans des lieux de mémoire. Je veux en mentionner ici quelques-uns.
Le mémorial martiniquais du Cap 110 au Diamant rend hommage aux milliers d’esclaves morts pendant la traversée des océans : ce voyage de la mort est évoqué par Guy DESLAURIERS et Patrick CHAMOISEAU dans le film Passage du milieu.
A La Réunion, le cimetière des esclaves de Saint-Louis accueille ceux qui n’ont trouvé la liberté que dans la mort.
En Guadeloupe, le boulevard des Héros aux Abymes célèbre le sacrifice des esclaves pour leur libération : DELGRES, IGNACE et la mulâtresse SOLITUDE.
A Pointe-à-Pitre un projet emblématique est en train de sortir de terre : Le « Mémorial ACTe ». Il se dressera sur le site de l’ancienne usine sucrière de Darboussier et sera le centre le plus important au monde consacré au souvenir de la traite et de l’esclavage. Œuvre de réconciliation, geste de paix, ce projet était jusqu’à présent porté par la seule région Guadeloupe. J’ai décidé que l’Etat apporterait sa contribution à cette réalisation qui rayonnera dans toute la Caraïbe et au-delà.
Mais l’Hexagone aussi a ses évocations.
Je pense à Champagney, en Haute-Saône, qui fait écho aux voix des paysans de France qui surent s’élever dès 1789 contre l’esclavage et qui avaient ajouté à leur cahier de doléances un article 29, ainsi rédigé : « Les habitants et communautés de Champagney ne peuvent penser aux maux que souffrent les nègres dans les colonies sans avoir le cœur pénétré de la plus vive douleur… ». Champagney entretient depuis 1971 la Maison de la négritude…
Je pense aussi à Chamblanc, en Côte d’Or, où se trouve la maison d’Anne-Marie JAVOUHEY qui libéra 147 esclaves à Mana en Guyane – et dont le souvenir est aujourd’hui symbolisé par 147 arbres plantés dans « La forêt de la mémoire ».
Et forcément à Nantes avec le Mémorial de l’abolition de l’esclavage inauguré en mars 2012 par le maire de l’époque, Jean-Marc AYRAULT.
L’histoire de l’abolition mérite également d’être rappelée. Elle est l’œuvre commune des humanistes blancs –l’abbé GREGOIRE ou Victor SCHOELCHER- et des esclaves qui ont résisté à leur propre sort et qui ont contribué à leur propre émancipation. Les uns et les autres y ont leur part. Au nom de la République, car la République est née avec le combat contre l’esclavage car la République c’est l’abolition. 1794-1848.
Notre responsabilité c’est une fois encore de donner un avenir à cette mémoire, regarder vers demain plus encore que vers hier, en se rappelant les messages d’Aimé CESAIRE dont nous célébrerons dans un mois le centenaire de la naissance.
Le premier, c’est l’impossible réparation. Ce qui a été a été. « Il y aurait une note à payer et ensuite ce serait fini », écrivait-il… « Non, ce ne sera jamais réglé. » L’Histoire ne s’efface pas. On ne la gomme pas.Elle ne peut faire l’objet de transactions au terme d’une comptabilité qui serait en tous points impossible à établir. Le seul choix possible, c’est celui de la mémoire, et c’est la vigilance, et c’est la transmission.
Je n’oublie pas non plus l’avertissement d’Aimé CESAIRE.
Si l’esclavage a disparu en France la haine, le mépris qui l’ont rendu possible, sont, eux, toujours là. « Le racisme est là. Il n’est pas mort ». Il prend d’autres formes, d’autres visages, et toujours il doit être combattu sans répit, sans faiblesse et sans silence. Comme doit être pourchassée toute discrimination.Ce poison contre l’égalité.
Enfin, la liberté n’est pas un don de la nature ou un acquis de la civilisation, c’est un apprentissage, une conquête de chaque jour, une victoire jamais achevée. En un mot, la liberté c’est une responsabilité dont les peuples comme les êtres doivent savoir être dignes. Et continuer à se battre pour elle, au nom du progrès et de l’humanité. Mais aussi de la solidarité à l’égard du monde.
La traite nous renvoie à la dette souscrite à l’égard de l’Afrique.
Nous savons la part funeste prise par la France dans l’exploitation des terres d’Afrique soumises à ce négoce barbare qui mit des hommes, des femmes et des enfants au fond d’une cale pour être transportés là où l’exploitation indigne de leur travail réclamait de les déposer.
J’ai tenu, le 12 octobre 2012, à rendre hommage à ces victimes sur l’île de Gorée, à la « maison des esclaves ». C’était à Dakar. Et je me suis incliné au nom de la France en souvenir de ces êtres humains qui entendaient le rester face à ceux qui ne l’étaient déjà plus.
Je sais aussi ce que notre République doit au sacrifice de milliers d’Africains venus la libérer. Et aujourd’hui, c’est au nom de cette solidarité que la France est intervenue au Mali pour lutter contre l’intolérance, le fanatisme et la terreur.
Cette journée souvenir du 10 mai est l’occasion de nous rassembler autour de nos valeurs essentielles.
La France est consciente de son histoire. Elle la regarde franchement pour la dépasser sans jamais rien effacer. C’est la condition de notre unité. Mais la France est fière de sa diversité de l’hexagone ou des outre-mer, tous les citoyens contribuent, à travers leurs identités, leurs singularités, leurs parcours, leurs origines. Ils sont bien plus que des héritiers, ils sont les bâtisseurs de notre avenir.
Car j’en suis sûr, c’est la paix des mémoires réconciliées qui permettra à la France d’être plus forte pour relever les défis de son temps.
Je vous remercie tous ici d’y contribuer.