Sur les traces de l’histoire familiale : Voyage d’une Martiniquaise à la découverte de ses ancêtres esclaves

En 2019, je décide de partir à la recherche de mes ancêtres. A l’époque j’ai un tas de questions en tête ! Qui étaient mes ancêtres ? D’où venaient-ils ? Mes parents sont martiniquais, je sais évidemment que parmi mes aïeux figuraient des esclaves, mais qui étaient-ils ? Ai-je la possibilité de retrouver leur trace et pourquoi pas leurs origines ? Jusqu’où vais-je pouvoir remonter le fil ?

Complètement novice, je me renseigne sur internet, notamment sur comment débuter sa généalogie, en parallèle je pose des questions à mes parents, et je commence à rassembler les premiers actes d’état civil concernant mes grands-parents et mes arrière-grands-parents.

Progressivement je parviens à remonter le fil ainsi que les générations, et une information retiens mon attention sur l’acte de décès de mon aïeul Praxède FROLON : le nom d’une habitation. Il est important de savoir qu’au moment de la nomination des esclaves martiniquais, pour gagner du temps dans l’écriture des actes, il a été décidé de noter le minimum d’informations. Les noms des habitations sur lesquelles nos ancêtres étaient captifs n’ont donc pas été renseignés, comme cela a pût être le cas sur les actes de nomination des esclaves de Guadeloupe. Par conséquent, quand je trouve enfin le nom d’une habitation, je comprends que je tiens une information précieuse.

L’habitation SPOUTOURNE, ce nom ne me dit absolument rien, j’effectue donc de nouvelles recherches et je fini par trouver le nom d’un livre qui s’intitule “Des nègres et des juges, la scandaleuse affaire Spoutourne (1831-1834). Je commande l’ouvrage, je le lis, et je découvre un récit plutôt singulier. En effet, dans son ouvrage, l’autrice et historienne Caroline OUDIN-BASTIDE rassemble les échanges de correspondances écrites entre des protagonistes d’une affaire judiciaire : l’affaire Spoutourne. L’histoire commence en 1831 à la Martinique, quand 6 esclaves vont porter plainte pour dénoncer les mauvais traitements dont ils font l’objet sur l’habitation Spoutourne. C’est inédit ! Il est important de rappeler que selon le Code Noir “les esclaves sont des biens meubles”, ils n’ont donc aucun droit. Toutefois, le statut juridique de l’esclave évolue au fil du temps. Une ordonnance de 1827 leur permet d’avoir recours à la clémence du roi, c’est donc à ce titre que ces 6 esclaves parviennent à déposer une plainte auprès du juge de paix.

L’ affaire dure plus de 3 ans, et finalement non seulement les maîtres ne sont pas inquiétés, mais ce sont les esclaves qui se retrouvent poursuivis et condamnés à la déportation vers l’île de Porto Rico. Toutefois, en mai 1834, à la veille de l’application de la peine, les 6 esclaves condamnés parviennent à s’enfuir sur l’île de Sainte Lucie, pays où l’esclavage venait d’être aboli.

La lecture de ce livre m’a profondément marquée. Notamment une des lettres écrites par un magistrat et dans laquelle il fait part de son indignation auprès du directeur des colonies, après avoir découvert les sévices dont faisaient l’objet les esclaves de l’habitation Spoutourne. Je me suis donc demandé si mes ancêtres avaient vécus sur cette habitation, mais à l’époque j’ignorait comment poursuivre mes recherches. Sur les conseils d’une proche, je prends contact avec l’association du CM 98. Je deviens adhérente et je suis prise en charge par un bénévole de l’atelier de généalogie : Monsieur Jean-Yves PRUDENTOS. Grâce à lui, j’ai pu mettre la main sur un acte notarié qui confirme la présence sur l’habitation Spoutourne en 1848, des 4 enfants de Praxède dont mon aïeul direct Marie-Vincent.

Malheureusement au moment où j’écris ces lignes, je ne peux en dire plus. En effet, des interrogations subsistent autour de Praxède, qui n’a pas été nommée en même temps que ses enfants. Je n’ai pas trouvé son acte d’individualité, ni d’acte d’affranchissement  la concernant. J’explore donc lentement mais sûrement les actes notariés, tout en ayant conscience qu’il est possible que je ne parvienne pas à creuser d’avantage. L’histoire de nos ancêtres arrachés à leur terre et considérés comme des biens meubles, fait qu’il est souvent compliqué d’aller au-delà d’un certain seuil, celui de la période de l’esclavage.

De nombreuses questions resteront sans réponse, toutefois la découverte de mon histoire familiale n’en demeure pas moins riche et intéressante. Aussi, j’ai trouvé en la généalogie une nouvelle passion ! A tel point que me voici depuis maintenant 4 ans, bénévole au sein de la belle équipe de l’Atelier de Généalogie et d’Histoires Antillaises. J’ai la chance de travailler et d’apprendre aux côtés de véritables experts en généalogie, des bénévoles remarquablement engagés, pour certains depuis les premières heures de l’association.

En aidant à mon tour les descendants d’esclaves à retrouver leurs ancêtres, j’aimerais donner l’envie, notamment aux plus jeunes, de soutenir les actions du CM 98, et pourquoi pas de s’engager et d’œuvrer à nos côtés, pour la mémoire de nos ancêtres victimes de l’esclavage colonial.

Magalie

2024-03-17T23:04:33+00:00