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L’esclavage dans l’empire byzantin

L’esclavage à Byzance

1/ Cadre général :
L’Empire byzantin poursuit l’Empire romain sans solution de continuité dans la partie orientale de l’Empire → continuation de la législation romaine, qui prévoit l’esclavage et pour laquelle c’est une main d’œuvre courante, que ce soit dans les campagnes, dans l’artisanat et le commerce et dans les maisons, depuis les grands aristocrates jusqu’aux artisans et commerçants.
• plusieurs façons de devenir esclave dans le monde romain et donc, du moins au départ, à Byzance :
• esclave de naissance : être né de mère esclave ;
• se vendre comme esclave, ce qui nécessite d’avoir 20 ans ; notamment, c’est une façon de racheter une dette ; enfant vendu par son père
• épouser une esclave
• être pris comme captif, donc en principe lors d’une guerre contre une puissance étrangers ou d’un peuple à l’Empire ; les déserteurs qui reviennent dans l’Empire sont réduits en esclavage ;
• capturer un citoyen romain pour le réduire en esclavage est interdit, sauf s’il s’agit d’un captif de l’État ou d’une personne condamnée par un tribunal public ;
• à ceci s’ajoutent les esclaves achetés sur les marchés aux esclaves, particulièrement importants dans les grandes villes de l’Orient romain, Constantinople, Antioche et Alexandrie, qui comptent toutes plus de 200.000 habitants, jusqu’à 600.000 pour Constantinople au 6e siècle ; nous y reviendrons.
La christianisation de l’Empire (en 392, Théodose) entraîne de multiples débats, que l’on retrouve chez les Pères de l’Église :
• pour résumer : Grégoire de Nazianze condamne l’esclavage et affranchit ses esclaves, tandis que, en cette même fin du 4e siècle et dans la même Cappadoce, Basile de Césarée tolère l’institution comme un mal nécessaire ; notons que ces grands évêques sont issus de familles de la plus haute aristocratie ;
• parmi les obligations des évêques, qui sont entretenus par la puissance publique, les terres des évêchés étant des terres publiques, le rachat des captifs suite à une guerre ou une razzia, notamment en priorité ceux de leurs ouailles ;
• les non-chrétiens (surtout les juifs dans l’Empire) n’ont pas le droit de posséder des esclaves chrétiens, qui sont automatiquement affranchis.
• affranchir ses esclaves est une œuvre pie, mais il faut savoir composer entre sa piété et ses intérêts → le plus courant est d’affranchir ses esclaves par testament, une façon comme une autre de racheter son âme pour « le jour terrible du jugement » ; id. pour une personne qui entre au monastère et dispose alors librement de ses biens : elle aura tendance à donner ses biens au monastère, mais à libérer les esclaves.

2/ La haute époque :
Il est illusoire de vouloir estimer la population de l’Empire à ses différents stades et donc plus encore le nombre des esclaves ; l’esclavage est très répandu dans l’Empire romain tardif, même devenu chrétien ;
• Libanios, rhéteur célèbre d’Antioche au 4e siècle écrit un discours Sur l’esclavage et considère que c’est un phénomène universellement répandu ;
• la législation du Justinien (6e siècle) en traite abondamment, que ce soit incidemment dans des lois dont ce n’est pas le sujet principal ou dans des lois qui interdisent soit la réduction en esclavage soit au contraire des actions qui soustraient l’esclave à son maître, comme l’ordination sacerdotale ou l’entrée au monastère ;
• les documents d’archives conservés pour la haute époque, avant les conquêtes arabes du 7e siècle, viennent essentiellement d’Égypte, pays où l’esclavage était comparativement peu répandu ; pourtant les esclaves y apparaissent constamment, tant en ville qu’à la campagne.
Notons que, dans l’Orient romain de la Antiquité tardive (jusqu’au début du 7e siècle et les invasions arabes), une faible partie des terres des grandes propriétés sont exploitées en régie directe par des esclaves. Les propriétaires de celles-ci préfèrent les allotir à des familles paysannes libres, détentrices de baux qui, pour être sans doute pour la plupart non écrits, n’en sont pas moins perpétuels. Cela dispense de prévoir et donc de financer le remplacement des esclaves, souvent non mariés et dépourvus d’enfants, qu’il faudrait de toute façon élever. Les locataires au contraire se succèdent d’une génération à la suivante, sans avoir en principe le droit de déguerpir (les colons). D’autres contrats à très longue durée, voire perpétuels, les emphytéoses, se développent pour deux raisons : ils ont plus avantageux pour les deux parties et les apports de main d’œuvre nouvelle sont rares dans un Empire qui souffre d’oliganthropie. Ajoutons que c’est le locataire qui paie l’impôt.
Cela explique la relative rareté des esclaves dans les papyrus égyptiens traitant des campagnes. L’agriculture pratiquée sur les terres fertilisées par les crues du Nil est particulièrement intensive ; les locataires sont mieux adaptés à ce travail harassant. De plus, les propriétaires reportent ainsi sur eux les risques d’une crue insuffisante du Nil, si toutefois les contrats sont libellés en argent ou en fourniture fixe et non à part de fruit.
Pour rester à cette époque et revenir en ville, l’un des développements les plus notables attribués à Justinien est l’introduction, du ver à soie dans l’Empire et le développement dans l’enceinte même du Palais d’ateliers impériaux destinés à fabriquer les tissus précieux et politiques, notamment teints en pourpre, que revêtent l’Empereur et une partie de la cour suivant une savante distribution, mais qui servent aussi à la diplomatie. Comme il est politiquement essentiel de maintenir les secrets de fabrication, le plus simple est de recourir aux esclaves, qui, ainsi, ne sortiront pas de l’atelier et formeront eux-mêmes ceux qui viendront après eux.
Nous connaissons le prix des esclaves à Constantinople grâce à une loi de Justinien de l’année 530/1 :

[la monnaie, créée par Constantin au début du 4e siècle, est le sou d’or ou nomisma (pièce d’or quasi pur de 4,54 g, 72 par livre romaine de 327g ] :
• esclave sans autre caractéristique : 20 nomismata ;
• esclave eunuque de plus de 10 ans 30 nomismata ;
• esclave qualifié 50 nomismata ;
• esclave médecin 60 nomismata ;
• esclave eunuque qualifié, + 10 ans une livre d’or, soit 72 nomismata.
Par comparaison, au début du 7e siècle, la Vie de Jean l’Aumônier, patriarche d’Alexandrie, donne le prix d’un esclave, malheureusement sans autre précision, soit 50 nomismata, ce qui est cohérent avec l’esclave qualifié. La Vie de ce saint évêque est écrite par Léontios, évêque de Néapolis de Chypre, dont on peut penser qu’il connaît ce qu’il écrit.

3/ L’époque mésobyzantine
La situation globale est évidemment modifiée par les conquêtes arabes du 7e et du début du 8e siècle. Dans les campagnes, l’évolution favorable à la petite paysannerie indépendante (locataires et petits et moyens propriétaires) se renforce. Constantinople se réduit à une population dont le nombre est discuté, mais qui se situe quelque part entre 40.000 et 100.000 habitants. Toutefois, les courants commerciaux avec l’Orient devenu arabe ne sont pas rompus : dès le 7e siècle, il existe une mosquée à Constantinople pour les marchands de confession musulmane.
Au 8e siècle, l’empereur Léon III, par ailleurs iconoclaste, entreprend une œuvre juridique, destinée à servir d’abrégé de la codification de Justinien et à la rendre plus utilisable (Eklogè, littéralement “choix”) ; mais il infléchit les lois dans un sens qui témoigne de la persistance de l’esclavage, mais tend plutôt à protéger au moins légèrement les esclaves :
• le prisonnier de guerre qui s’enfuit et rentre dans l’Empire sera d’abord considéré comme déserteur, donc esclave de l’État, mais libéré au bout de 5 ans s’il se conduit bien ; un prisonnier fait par l’État byzantin pourra être affranchi pour bonne conduite ;
• tout un titre est consacré à l’affranchissement ;
• un maître qui frappe son esclave à mort sans raison légitime sera accusé d’homicide ;
• si un esclave vole et que le maître ne veut pas le garder, il pourra le donner à celui que l’esclave a volé ; il échappe donc à la mort ;
• l’esclave qui enlève une personne libre aura la main coupée (ce qui le fait échapper à la mort).
Les manuscrits associent à cette codification un texte original, la Loi Agraire, sans doute antérieure, mais qui reste en vigueur dans toute la période byzantine : c’est une suite de cas concrets destinés aux juges ruraux. Elle reste beaucoup plus sévère :
c. 45 : Si un esclave tue un bœuf ou un âne ou un bélier dans un bois, son maître rendra la bête.
c. 46 Si un esclave, voulant voler une nuit, éloigne les brebis du troupeau et les fait sortir de l’enclos, si elles sont perdues ou mangées par les bêtes, qu’il soit pendu comme assassin.
c. 47 Si un esclave d’un tel vole souvent des bêtes la nuit ou qu’il fait souvent fuir les brebis, son maître dédommagera ce qui a été perdu, car il connaissait l’esclave répréhensible ; que celui-ci soit pendu.
c. 71 Si quelqu’un confie à un esclave du bétail à faire paître à l’insu du maître de celui-ci et que l’esclave vende les bêtes ou les rende inutilisables, l’esclave et son maître seront quittes.
c. 72 Si c’est au su de son maître que l’esclave a reçu des bêtes de quelque espèce, qu’il les mange ou les perde d’une autre façon, que son maître dédommage le propriétaire des bêtes.
L’esclave est donc une donnée courante dans la société villageoise. Il semble important pour l’élevage. Mais il n’en a pas l’exclusivité, car les paysans peuvent mettre leurs bêtes en commun et les confier le matin à un bouvier qui les mènera paître et les rendra le soir : ce bouvier communal est salarié.
Demeure évidemment une donnée essentielle : l’esclave n’ayant pas de personnalité juridique, c’est le maître qui est juridiquement responsable. On sent par ailleurs que certains paysans de la communauté villageoise ont au moins un esclave et d’autres pas.

On retrouve cette question dans une Vie de saint écrite en 823 par le petit-fils du héros. Celui-ci est un grand propriétaire de Paphlagonie, Philarète, dont la petite-fille Marie va épouser Constantin VI (780-797). Le début de la Vie est construit sur le modèle de Job. Philarète est très riche et miséricordieux. La Vie décrit son immense fortune, description qui se termine sur « de nombreux serviteurs », le terme se traduisant aussi par esclave : c’est le terme le plus courant. Puis le Diable convainc Dieu de lui abandonner son juste pour le mettre à l’épreuve et Philarète se trouve réduit à l’état de paysan de base, à qui ne reste plus qu’un seul esclave et une servante, évidemment une esclave de sexe féminin, sans doute la compagne du précédent, mais les esclaves n’ont pas vraiment le droit de se marier. Quelques années plus tard, Théophane, le chronographe le plus célèbre de l’Histoire byzantine, appartient à une grande famille de hauts fonctionnaires de l’administration impériale. Lui-même et son épouse décident de se faire moines chacun de son côté ; auparavant, ils affranchissent leurs esclaves, hommes et femmes, donnant à chacun d’eux le document légal d’affranchissement.
Arrivé au pouvoir en 867 par un coup d’État, Basile Ier tente de renforcer son pouvoir en s’appuyant sur l’aristocratie provinciale. Il reçoit ainsi le soutien d’une péloponnésienne, Danièlis, qui, disent les sources, possédait des milliers d’esclaves. Pour sceller l’alliance et faire adopter son fils par l’empereur, elle donne à Basile d’immenses domaines et, toujours selon les sources, 3.000 esclaves, que l’empereur affranchit pour les envoyer repeupler de fidèles sujets le sud de l’Italie qu’il s’applique à reconquérir.
Le fils de Basile, Léon VI, termine l’œuvre de codification entamée par son père et conclut cette œuvre par un recueil de 113 lois. Certes, il interdit toujours aux esclaves de devenir moine, prêtre, voire évêque sans l’assentiment de leurs maîtres et ordonne qu’ils soient restitués à ceux-ci. Léon prend plusieurs lois qui supposent l’affranchissement des esclaves par testament et fortifie le statut des affranchis en leur garantissant le droit de tester. Mais le plus caractéristique de l’évolution en cours, c’est qu’il accorde le droit de propriété aux esclaves impériaux, ce qui est la négation même de l’esclavage et leur permettra d’en disposer et donc au bénéfice de leurs enfants ; sans les y obliger, ils conseille aux autres propriétaires d’en faire autant. Il s’agit sans doute des esclaves exploitant des domaines fonciers, mais ce que nous savons de l’industrie de la soie à Constantinople au 10e siècle montre que la fabrication des tissus précieux et impériaux est, pour les moins nobles, délégués à l’artisanat privé. Les secrets sont donc passés dans le privé ; les ateliers impériaux subsistent, mais il semble bien que les travailleurs y soient des hommes libres, selon la politique de Léon VI.
Ce même Léon VI publie au printemps 912 une réglementation d’une partie des métiers de Constantinople, placés sous la responsabilité du préfet, l’Éparque : c’est le Livre de l’Éparque. Les esclaves y sont omniprésents et il est clair que ne nombreux commerçants et artisans, à côté de la main d’œuvre salariée, emploient des esclaves. Ceux-ci sont autorisés à travailler, donc à avoir entre les mains, dans le métier d’orfèvre, de l’or, matière monétaire garante de la souveraineté. Le propriétaire d’un esclave peut même lui faire ouvrir un atelier d’orfèvrerie. En revanche, un esclave ne pourra être banquier et c’est le seul métier qui lui soit interdit. En principe, un membre d’un corps de métier ne peut avoir plus d’un atelier ou d’une boutique. Mais il peut en ouvrir autant qu’il veut en faisant tenir chacun des autres par un esclave, qui va donc avoir sous ses ordres des ouvriers ou employés libres. La raison en est simple : l’esclave n’ayant pas de personnalité juridique, c’est son maître qui assume celle-ci, tandis que le cas d’un gérant aurait été juridiquement plus complexe. Deux Vies de saints de cette époque, en bonne partie fictives, celle d’André le Fou et celle de Basile le Jeune, qui se déroulent à Constantinople, nous montrent des esclaves dépendant effectivement d’artisans, mais plutôt comme sous-odres.
En ce dixième siècle, les guerres de conquête ne sont plus la principale source d’arrivée d’esclaves à Constantinople. En 911 et 944, l’Empire concède en effet successivement deux contrats de commerce avantageux aux marchands “russes” venus de Kiev. Il s’agit alors de Varègues, des Scandinaves qui sont la version orientale d’un expansion nordique qui a donné naissance en Occident à ce que nous appelons les invasions normandes (songez, chez nous à Varangéville) ; appelés Ros’, ils raflent périodiquement des paysans slaves (d’où vient le mot esclave) et les revendent aux Arabes à Constantinople, qui est alors le principal marché aux esclaves du monde méditerranéen. Les traités confirment le prix de l’époque de Justinien : les Russes se voient compter les esclaves 10 nomismata et ne paient ainsi la taxe commerciale, le kommerkion de 10%, que sur cette valeur. Ils obtiennent ainsi un rabais fiscal de moitié et un avantage commercial décisif. Voilà qui confirme bien le prix de 20 nomismata pour l’esclave ordinaire, ces paysans n’ayant à l’évidence aucune qualification particulière. Étonnante stabilité et de la loi et des prix, comme était stable depuis Constantin le sou d’or, le nomisma.
L’esclavage n’a pas pour autant disparu des campagnes. Au début du 9e siècle, Théodore Stoudite, le principal théoricien du monachisme byzantin, alors abbé du plus grand et plus riche monastère de Constantinople, interdisait aux moines de posséder des esclaves pour cultiver leurs terres. Un siècle et demi plus tard, en 964, dans une loi tendant à améliorer la mise en valeur des biens monastiques qui n’était pas un modèle du genre, l’empereur Nicéphore Phocas demande aux aristocrates de donner aux monastères non des terres, qu’ils ont en excès sans pouvoir ni les revendre, ce qui est interdit, ni les mettre en valeur, mais plutôt de leur donner des instruments de travail : bœufs et autres animaux, mais surtout esclaves.
Pourtant, au moment même où le nombre des documents d’archives conservés augmente, la présence des esclaves se fait de plus en plus discrètes. De nombreux grands domaines n’en comportent pas. Les testaments conservés montrent cette évolution. Ainsi, le testament d’un aristocrate exilé aux confins de la Cappadoce, Eustathe Boïlas, nous montre certes une cinquantaine d’esclaves, mais la plupart sont à la tête d’un lopin de terre et ils le garderont en toute propriété de par le testament de 1059. Les autres constituent la domesticité et sont également affranchis et dotés par le testament. Enfin, en 1098, nous voyons tester Kalè Basilakina, veuve de Symbatios Pakourianos, devenue la moniale Marie. Le couple n’a pas d’enfants et Kalè a déjà hérité de ce que son mari n’a pas légué à d’autres membres de sa famille. Kalè n’a plus que onze esclaves, toutes des femmes, qu’elle affranchit et dont trois sont devenues moniales.

4/ pour fini :
Il aura donc fallu attendre deux siècles pour que l’incitation de Léon VI à abandonner l’esclavage se traduise dans les faits. Les esclaves agriculteurs, donc l’esclavage non de masse, mais au moins de nombre, a déjà disparu et nous n’en trouvons plus sur les tenures paysannes ; restent les esclaves domestiques, état provisoire tant il est vrai que ces esclaves, au reste souvent bien traités, sont affranchis par testament. Faute de conquêtes, l’Empire n’a d’ailleurs pas de sources d’approvisionnement ; les esclaves qui restent ont été achetés sur le marché de Constantinople qui reste prospère, pour ravitailler le monde arabo-musulman, voire l’Occident. Ce sera le cas tant que l’Empire subsistera, jusqu’en 1453, après la parenthèse latine, de 1204 à 1261.

2018-10-17T21:32:26+00:00 Tags: |