Récit généalogique Béatrice Farouil

« MES PARENTS ESCLAVES ONT ÉTÉ LÉGUÉS PAR LEUR MAITRE, PAR TESTAMENT DE SON VIVANT, À UNE AUTRE ESCLAVE QU’IL VENAIT D’AFFRANCHIR »

Rose est née en Afrique vers 1823. Elle était esclave aux Abymes en Guadeloupe sur l’habitation du sieur Jean-Baptiste FIDELIN. Son numéro matricule était le 546.

Le 19 janvier 1841, M. Jean-Baptiste FIDELIN se rend chez son notaire à Pointe-à-Pitre, pour faire son testament. Il est veuf et âgé de 42 ans.

Dans son testament, il décide de léguer à son ancienne esclave Zilia qu’il avait affranchie le 6 mars 1837, une portion de terrain ainsi qu’une esclave avec ses deux enfants.

Zilia avait même le choix entre deux esclaves ayant chacune deux enfants.

Il était écrit dans le testament : «Je donne et lègue, à la même demoiselle Zilia, ma négresse appelée Rose, avec ses deux enfants Reine et Julienne, ou ma négresse Justine avec Saint Elme et Sébastien, ses enfants, au choix de Mlle Zilia, qui pourra jouir et disposer de ses esclaves qu’elle aura choisis en pleine propriété à compter du jour où j’aurai cessé de respirer ».

Le sieur FIDELIN décède le 16 décembre 1842 aux Abymes à l’âge de 44 ans.

La demoiselle Zilia a fait son choix et se présente devant le notaire le 2 mai 1844 pour la délivrance de legs : l’esclave nommée Rose, négresse âgée de 21 ans, ainsi que sa fille Reine, âgée de 4 ans. L’autre fille Julienne, était décédée entre temps.

Ces esclaves étaient estimés à 1350 francs et la portion de terre octroyée à 195 francs ».

Rose va rencontrer Zamor, né aux Abymes. Il est esclave avec le numéro matricule 3862 sur l’habitation des BAIMBRIDGE, une famille originaire d’Irlande venue s’établir en Martinique et en Guadeloupe. Au cours de l’inventaire fait à la mort de son maître François Alexandre BAIMBRIDGE sur son habitation, l’esclave Zamor est estimé à 1000 Francs.

Le 8 novembre 1848, huit (8) mois après la date officielle de l’abolition de l’esclavage, Rose et Zamor se présentent accompagnés de leurs enfants devant l’officier de l’état-civil pour recevoir un « nom de famille ». Celui-ci leur donne à tous le nom : MOZAR, anagramme du prénom de Zamor. À cette occasion Rose et Zamor vont reconnaître pour leurs enfants : Reine âgée de 7 ans (matricule 554) ; Janvier âgé de 3 ans (matricule 3911) et Nicolas, âgé de 1 an (matricule 4753), qui prennent aussi le nom MOZAR.

Je note que Rose et Zamor qui ne sont pourtant pas mariés officiellement, reçoivent le même nom patronymique. Ils auront par la suite trois autres enfants : Thomas Barsac dit Basson, cultivateur né en 1852 ; Apolline née en 1858 et Magloire Appolon né en 1849.
Alors qu’ils ont ensemble six enfants, je découvre en consultant d’autres archives que Zamor MOZAR va se marier deux fois. Une première fois en 1851 il avait 40 ans avec Germaine GERMINAL, ancienne esclave (matricule 2136) sur l’habitation Dugazon aux Abymes, située non loin de l’habitation BAIMBRIDGE, puis une deuxième fois en 1867 à l’age de 56 ans, avec HIJAR Victoire elle aussi ancienne esclave aux Abymes (matricule 3324).

Rose décèdera le 04 novembre 1867 à l’âge de 44 ans, et Zamor le 29 janvier 1884 à l’âge de 74 ans aux Abymes.
En faisant mon récit généalogique, j’ai compris de façon très concrète l’histoire de l’esclavage colonial. Mes parents, des êtres humains, étaient esclaves ; ils avaient été légués par testament de leur maître, à d’autres êtres humains, esclaves eux aussi, mais affranchis par ce même maître. J’ai trouvé les prix de mes aïeux : 1350 Francs pour Rose et son enfant Reine ; 1000 francs pour Zamor. Tout cela était normal à cette époque.

Je n’ai pourtant ressenti ni haine, ni colère, mais j’ai découvert dans ma propre famille différents aspects de fonctionnement de la société esclavagiste, dons et échanges d’esclaves ; rapports entre maîtres et esclaves ; devenir d’une esclave après la mort de son maître, …

C’est pourquoi je vous encourage tous à rejoindre le CM98, pour aussi faire votre propre récit généalogique afin de savoir comment se sont constituées vos propres familles à cette époque originelle de l’esclavage, et ce d’autant plus que la parole ne s’est pas libérée à l’abolition de l’esclavage, bien au contraire. Ce n’est en effet maintenant, en n’ayant jamais entendu parler d’esclavage dans ma famille, que je peux accéder à cette histoire.

Béatrice Farouil