Déclaration d’entrée en grève de la faim du Pr Serge Romana, Président du CM98

POUR QUE LA MÉMOIRE DE L’ABOLITION DE L’ESCLAVAGE UNISSE LES FRANÇAIS

POUR QUE LA MÉMOIRE DES VICTIMES DE L’ESCLAVAGE UNISSE LES ORIGINAIRES D’OUTRE-MER

Pour dénoncer la trahison du sénateur guadeloupéen, felix desplan

POUR QUE LE SÉNAT VOTE L’ARTICLE 20A DE LA LOI ÉGALITÉ RÉELLE

j’ai décidé D’ENTAMER UNE grève de la faim…

Limyè ba yo, sé fos ban nou (les reconnaitre, c’est de la force pour nous)

 

Je fais partie des 40 000 personnes qui défilèrent le 23 mai 1999 entre la place de la République et celle de la Nation pour commencer le travail de réhabilitation de la mémoire des esclaves des anciennes colonies françaises.

Je fais partie de ceux qui mènent depuis ce jour-là, un combat sans relâche pour la reconnaissance des aïeux des Guadeloupéens, des Martiniquais, des Guyanais et des Réunionnais qui furent victimes de la traite et de l’esclavage colonial.

Je fais partie de ceux qui pensent que cette reconnaissance est essentielle pour lutter contre le ressentiment qui mine les sociétés d’outre-mer et qui les empêche de construire leur avenir.

Je fais partie de ces milliers de descendants d’esclaves qui par le travail qu’ils ont effectué depuis une vingtaine d’années (plus de 600 séances de groupes de paroles, des milliers de conférences dans une université populaire, 18 grandes commémorations du 23 mai en hommage aux victimes de l’esclavage, un travail unique au monde dans les archives pour retrouver l’identité des aïeux esclaves des Antillais

[anchoukaj.org]) commencent à être fiers de leur histoire, fiers tout simplement d’être des descendants de survivants.

Enfin, je fais partie de ces descendants d’esclaves qui, parce qu’ils l’affirment aujourd’hui sans honte sont capables de concevoir une mémoire de l’esclavage vidée des accusations contre les « blancs », et qui permet la réconciliation avec les descendants de colons, de négriers d’Europe et d’Afrique et qui sont prêts à construire un nouveau pacte citoyen avec la République.

Je fais donc partie de ces bâtisseurs d’une nouvelle citoyenneté en outre-mer, ouverte, débarrassée de la honte, de la douleur et de la victimisation.

C’est cette promesse qui était celle de la marche silencieuse des 40 000 à Paris du 23 mai 1998.

Le 5 octobre 2016, les députés ont voté à l’unanimité, dans le cadre de la loi Égalité réelle Outre-mer, un amendement à la loi du 30 juin 1983 (portant sur les commémorations de l’esclavage), permettant de régler correctement le régime mémoriel en France. Cet amendement (devenu article 20A de la loi égalité réelle outre-mer) stipule que le 10 mai devienne officiellement une date nationale (ce qu’il n’est pas) consacrée à l’œuvre abolitionniste de la République ainsi qu’aux combats menés en outre-mer et dans l’hexagone contre l’esclavage colonial. Cet amendement officialise également l’hommage national qui doit être rendu spécifiquement aux esclaves le 23 mai. Il intègre donc harmonieusement les deux mémoires de l’esclavage, celle de l’abolition et celle des victimes. Ce vote de l’Assemblée nationale a été accueilli avec espoir par des milliers d’originaires d’outre-mer qui y ont vu l’aboutissement d’un long et difficile combat populaire pour le respect de la mémoire de leurs aïeux. Reconnaissant une pratique sociale bien installée, il ouvrait enfin la voie à une mémoire apaisée de l’esclavage.

Le mardi 10 janvier, la commission des lois, à la demande du sénateur guadeloupéen Félix Desplan, a annulé l’article 20A.

Il s’agit d’un acte intolérable, d’une attaque directe et violente contre un mouvement populaire pacifique dont le seul objectif était de construire de la paix, de l’unité nationale ainsi que des sociétés d’outre-mer débarrassées des conflits hérités de leur Premier Temps fait de 213 années d’esclavage.

Pour faire face à cette injustice, à cet acte assassin, j’ai décidé de rentrer en grève de la faim. Par cet acte, je porterai la voix des sans voix, celle des descendants de ceux qui étaient destinés à être dans la poubelle de l’Histoire.

Descendant de Juliette, matricule 5322, nommé Romana, le 19 septembre 1848, une parmi les centaines de milliers d’esclaves des anciennes colonies françaises, je me dois de représenter dignement jusqu’au bout leur combat de dignité.

Vwè mizè pa mô ! (« Voir de la misère et ne pas mourir » – proverbe antillais)

 

Pr Serge Romana

Président du CM98

2017-02-03T00:09:07+00:00