Avec Zion, Nelson Foix signe un premier long-métrage fort, tourné à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, qui prend à bras-le-corps des réalités rarement abordées avec autant de justesse. Le film raconte un moment de bascule : un jeune homme qui, du jour au lendemain, se retrouve à devoir protéger un bébé dans un environnement marqué par le trafic, la violence, et les silences familiaux.

L’histoire, simple en apparence, s’ouvre vite sur plusieurs niveaux de lecture. C’est ce qui en fait un film singulier, à la fois grand public et profondément ancré dans une culture antillaise.

Dans Zion, ce qui frappe, c’est la quasi absence de femmes. Et ce n’est pas anodin.

Dans les sociétés antillaises, les familles sont souvent matrifocales — un héritage de l’esclavage colonial, où les femmes ont souvent tenu seules la cellule familiale. La figure de la fanm poto mitan — la femme pilier — y est centrale, à la fois réelle et symbolique.

Zion prend le contre-pied de cette réalité. Dans le film, les femmes sont presque absentes, et ce sont les hommes qui occupent tout l’espace narratif. Cela n’a rien d’anodin. Car dans ce vide, une question surgit : qu’est-ce que ça veut dire, être père, quand on n’a jamais vu ce rôle incarné autour de soi ?

Chris, le personnage principal, se retrouve du jour au lendemain à devoir protéger un bébé. Il n’est pas prêt, il n’a pas les repères. Il avance à l’aveugle, il doute, il tâtonne. Il endosse un rôle souvent associé aux femmes, mais sans avoir les outils pour l’assumer pleinement. Et c’est là que le film devient fort : il montre un homme qui fait ce qu’il peut, sans modèle, sans certitude.

Gardienne de vie, symbole du CM98

La Gardienne de vie, symbole du CM98.

Son propre père est présent lui aussi, mais leur relation est fragilisée par un drame passé. On sent que lui aussi est en difficulté. Ce face-à-face entre deux générations d’hommes, toutes deux en recherche de leur place, donne au film une dimension intime et politique à la fois.

Le film pose la question de la transmission, de la fragilité de la figure paternelle, et du poids que cela fait peser sur ceux qui viennent après.

Violence et narcotrafic : un thriller sous tension.

C’est justement dans ce contexte masculin dur et fermé, que le film s’installe : celui du narcotrafic, de l’économie parallèle et des rapports de force. Le point de départ est classique : un jeune homme pris dans une affaire, une course contre la montre, des choix à faire. Sur ce plan-là, Zion fonctionne très bien. C’est un thriller efficace, tendu, rythmé, avec de vraies scènes de tension.

Mais là encore, le film se distingue. Il ne cherche pas à faire du spectaculaire. La violence est présente, mais elle n’est jamais esthétisée. Elle pèse. Elle enferme.

Don Snoop, rappeur Guadeloupéen, joue parfaitement son rôle d’antagoniste. Dans un rôle quasi muet il incarne cette menace avec une grande justesse. Il n’a pas besoin de parler. Sa simple présence suffit à créer la tension. Il représente un pouvoir brut, inquiétant, qu’on ne peut pas négocier. Et le film réussit à transmettre cette tension sans en faire un spectacle.

Une spiritualité discrète, mais toujours là.

En parallèle de cette tension physique, Zion laisse aussi affleurer une autre couche : celle du spirituel. Rien d’appuyé, rien de démonstratif. Mais des signes sont là : une statue de la Vierge portée par l’enfant, des crucifix posés çà et là, un personnage appelé “le Prophète”, marginal, halluciné, mais étrangement clairvoyant.

Le carnaval, qui sert de toile de fond à l’intrigue, renforce cette atmosphère flottante. C’est un moment où les rôles se brouillent, où la frontière entre l’ordre et le chaos s’efface. Une période sacrée pour beaucoup, que le film montre sans folklore. Il en capte la tension, l’ambiguïté, la charge symbolique.

Ici encore, Zion ne cherche pas à expliquer. Il laisse les choses parler d’elles-mêmes, avec pudeur.

Créole et musique locale : un film enraciné.

C’est cette même sincérité qu’on retrouve dans le choix de la langue et des sons. La majorité des dialogues est en créole. Pas en version édulcorée. Du créole vrai, parlé, vivant. Ce n’est pas un effet de style : c’est la langue du film, tout simplement.

La bande-son suit cette logique. Composée presque uniquement d’artistes antillais, elle ne vient pas « ambiancer » les scènes. Elle vient du territoire, elle l’exprime. Elle donne à certaines séquences un poids émotionnel fort, parce qu’elle appartient à cette réalité.

Langue et musique participent pleinement à l’ancrage du film. Elles disent d’où il parle.

En toile de fond, une réalité politique bien présente.

Sans jamais se poser comme un film “à message”, Zion laisse affleurer tout au long du récit une série de signes politiques. Des coupures d’eau. Des conversations entendues à la radio sur l’indépendance. Des remarques de touristes sur le prix de certains produits. Des débats télévisés qu’on capte à la volée.

Ces éléments ne prennent jamais le dessus sur la narration, mais ils dessinent un contexte. Celui d’un territoire sous tension, traversé par des rapports complexes à l’État français, à la vie chère, aux infrastructures défaillantes. Cette couche politique est discrète, mais essentielle. Elle rappelle que les choix des personnages ne se font jamais dans le vide, mais dans un environnement contraint, souvent absurde, parfois violent.

C’est aussi ce qui donne au film une densité supplémentaire : Zion raconte une histoire individuelle, mais toujours connectée à un paysage plus large, à une société en déséquilibre.

Un film à plusieurs niveaux de lecture.

C’est là toute la force de Zion. Il peut se voir comme un bon thriller. Il en a les ingrédients : rythme, tension, enjeux. Mais il prend une tout autre dimension quand on le regarde avec un œil antillais. Il parle de ce qui ne se dit pas souvent à l’écran : les pères absents ou maladroits, les transmissions fragiles, la place des hommes dans des sociétés portées par les femmes.

Il parle aussi de foi, de mémoire, de langue, sans jamais tomber dans l’explication ou l’illustration. On peut donc y entrer de plusieurs façons. Le film est ouvert. Il peut toucher un public large, mais il résonne plus profondément pour celles et ceux qui reconnaissent ses codes, ses silences et son rythme.