Le 4 septembre 2025, une étape historique a été franchie au ministère des Outre-mer : Le futur Mémorial national des victimes de l’esclavage a été présenté à la nation. L’œuvre architecturale et paysagère sélectionnée à l’unanimité, a été présentée par ses concepteurs, l’équipe composée du paysagiste Michel Desvigne et de l’architecte Philippe Prost. Les associations mémorielles ont remis au ministre Manuel Valls le Livre des noms des 215 000 esclaves de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique, de La Réunion et de Saint-Martin, affranchis par le décret d’abolition de l’esclavage de 1848. Ces noms seront gravés à la postérité sur le Mémorial des victimes de l’esclavage, qui sera inauguré en 2027 dans les Jardins du Trocadéro, à Paris.  

Ce long combat mémoriel a été porté par des centaines de militants de la mémoire du CM98. Cet article est l’occasion de mettre en lumière deux parcours emblématiques.

Josée Grard, membre de l’AGHFA*, et Mehdi Glaude, membre du groupe GBDA* et de l’Université populaire, font partie de ces militants dont le travail et l’engagement inspirent toutes les générations.

*AGHFA : Atelier de Généalogie et Histoires des Familles antillaises *GBDA : Groupe Bases de Données Archives

Le chemin vers la recherche des 215 000 noms du futur Mémorial national 

C’est au cours de cette période que j’ai eu la chance de rencontrer Emmanuel Gordien

J’ai commencé ma généalogie seule en 1995, après avoir reçu les actes de propriété de ma famille originaire de Pointe-Noire, en Guadeloupe. Sur ces actes, certains noms m’étaient inconnus. Je me suis donc rendu aux archives départementales de la Guadeloupe, situées à Gourbeyre, où j’ai découvert les archives nominales de Pointe-Noire. 

En 1998, je participe à la marche silencieuse initiée par l’association CM98 pour honorer la mémoire de mes aïeux victimes de l’esclavage colonial. C’est au cours de cette période que j’ai la chance de rencontrer Emmanuel Gordien et de découvrir son récit familial autour de ses ancêtres « Bouriqui » et « Papa Blaise ». Cette même année, j’ai alors décidé de poursuivre mes recherches généalogiques. 

Après la marche silencieuse de 1998, j’ai participé à la création de l’association comité marche du 23 mai 1998, et m’y suis engagée comme membre bienfaiteur. Et j’ai travaillé à la revalorisation de la place de nos aïeux esclaves en aidant nos compatriotes à retrouver l’ESCLAVE de leur lignée familiale. 

Le CM98 a joué un rôle essentiel dans la compréhension de mon propre récit familial. Ce cheminement a renforcé ma volonté de m’impliquer davantage au sein de l’association. En 2001, je suis devenu membre du groupe de l’AGHFA (Atelier de Généalogie et Histoire des Familles Antillaises), anciennement dénommé le Krèy Pyéfanmi.  

C’est d’ailleurs grâce à l’AGHFA que j’ai véritablement appris à pratiquer la généalogie : lire et interpréter des actes, manier les outils de recherche et surtout, être capable d’accompagner nos compatriotes dans leurs recherches généalogiques.

 Les livres Non an Nou et Non Nou et le site « Anchoukaj.org »  

« Serge Romana, alors président du CM98, nous annonça son grand projet »  

Je me souviens d’un jour, à la Bourse du travail de Saint-Denis, où nous étions réunis. C’est là que Serge Romana, alors président du CM98, nous annonça son grand projet : créer ce qui allait devenir le site « Anchoukaj.org », la première base numérique recensant la quasi-totalité des esclaves de Guadeloupe et de Martinique affranchis en 1848. 

À cette époque, nous avions déjà retrouvé tous les noms des aïeux du Moule, que nous avions présentés à Sarcelles, le 23 mai. Mais Serge voulait aller plus loin : retrouver, commune par commune, le nom de chaque esclave, accompagné de son prénom et de son numéro de matricule. Un travail titanesque, qui nous a mobilisés pendant plus de deux ans, sans relâche. 

Nos journées commençaient à 9h30 et se terminaient à 17h45, au CARAN (Centre d’Accueil et de Recherche des Archives Nationales). Nous passions des heures à photocopier les microfilms des registres des Nouveaux Libres de Guadeloupe. De retour chez nous, nous ressaisissions patiemment sur Excel tout ce que nous avions collecté. Nous avons ensuite été rejoints par le regretté Jacques Jason, qui nous a apporté une aide considérable sur le plan informatique. 

Pour la Martinique, les choses étaient plus compliquées : les registres des Individualités n’étaient pas au CARAN, mais aux archives départementales de la Martinique. Nos adhérents martiniquais devaient profiter de leurs vacances pour aller les photocopier sur place, souvent avec beaucoup de difficultés, car la coopération des services d’archives n’était pas toujours acquise. 

Il faut se rappeler qu’à cette époque, les villes de Guadeloupe et de Martinique n’étaient pas encore connectées à Internet. Nous ne pouvions donc pas accueillir facilement les personnes souhaitant entreprendre leurs recherches. Alors, nous fixions des rendez-vous par téléphone et, selon les disponibilités de chacun (Harry Rock, Jacques Jason, Sabin Luce, Julien Thildorant, Jocelyn Capresse, Éric Jalta, Evelyne Gordien et moi-même), nous les accompagnions individuellement au CARAN. 

Aujourd’hui, les choses ont bien changé. Les recherches se font sur ordinateur par le biais d’Internet, nous recevons directement les membres au siège, et nous pouvons leur transmettre la méthode pour retrouver leurs ancêtres esclaves. Car dans les ateliers métropolitains de généalogie, il est difficile de proposer une méthode adaptée aux spécificités des Antilles. De ce travail de longue haleine sont nés deux livres, où nous avons consigné les premiers aïeux nommés grâce à leur prénom, leur matricule et le nom qui leur fut donné après l’abolition de l’esclavage : Non an Nou en 2010 pour la Guadeloupe et Non Nou  en 2012 pour la Martinique. 

Nous avons aussi participé à des émissions de radio, une fois par mois le soir sur la radio Tropic FM. Avec Emmanuel Gordien, Éric Jalta, Josée Grard, et plus tard avec Isabelle Brun. Nous partagions avec les auditeurs les noms de leurs ancêtres retrouvés grâce à « Anchoukaj.org ». Ces moments étaient toujours très émouvants. 

Aujourd’hui, la relève est assurée par le « Groupe Base de Données Archives », qui poursuit ce travail de mémoire en reprenant les fichiers enregistrés, en les corrigeant et en actualisant chaque donnée retrouvée.  

L’atelier vous guide dans vos recherches 

« L’accompagnement de l’AGHFA prend tout son sens. Parce que nous connaissons les spécificités de notre histoire »  

La première étape, pour celles et ceux qui souhaitent découvrir leur histoire familiale, c’est de rassembler tous les documents disponibles : actes de naissance, de mariage, de décès, mais aussi titres de propriété ou documents anciens conservés dans la famille. La connaissance de la commune d’origine est essentielle.  Ensuite, il est précieux de prendre le temps d’échanger avec ses proches : grands-parents, parents, frères, sœurs, cousins… Chacun détient souvent une part de mémoire qui peut éclairer le chemin.  

Bien sûr, il est possible de se rendre au CARAN (Centre d’Accueil et de Recherche des Archives Nationales) pour mener ses propres recherches. Mais cette démarche peut parfois sembler complexe, surtout lorsque l’on ne connaît pas les particularités de l’histoire des Antilles.  

C’est là que l’accompagnement de l’AGHFA prend tout son sens. Parce que nous connaissons les spécificités de notre histoire et que nous disposons de notre site Anchoukaj.org et d’une véritable expertise. Nous pouvons vous aider à reconstituer votre arbre généalogique et à écrire votre récit familial, souvent en seulement quelques séances.  

Chaque mardi, de 17h00 à 19h00, nous organisons des permanences de généalogie où nous vous accueillons avec plaisir pour vous guider pas à pas dans vos recherches. C’est un moment d’échanges, de partages et de transmission, où chacun repart avec des clés pour mieux comprendre son histoire familiale.  

L’équipe de l’atelier : 

  • Comité de pilotage : Béatrice Farouil (Responsable), Harry Rock, Marie-Line Danchet, Evelyne Gordien, Josée Grard, Isabelle Brun et Sabin Luce. 
  • Accompagnants : Harry Rock, Sabin Luce, Marie-Line Danchet, Evelyne Gordien, Jocelyn Capresse, Huguette Albina et Josée Grard. 

J’ai compris qu’il n’était pas facile pour tout le monde de retrouver ses aïeux et qu’il était important de participer à la recherche de tous ces hommes, femmes et enfants 

Mon cheminement s’est d’abord construit à partir de cette profonde volonté de retrouver tous mes ascendants, tous ces hommes, femmes et enfants qui formaient ma grande famille, et de comprendre qui ils étaient. Comme tout le monde dans mon enfance, on me présentait les membres de ma famille en me disant : « voici ton cousin, ta cousine, ta tante, ta grande tante… ».  

Toutes ces appellations représentaient une certitude : ces hommes, femmes et enfants faisaient partie de ma famille. Mais quels étaient les liens qui les rattachaient réellement à moi, qui faisaient d’elles ma famille, ma grande famille ? A ce stade, il s’agit uniquement de généalogie. 

Le 23 mai 1998, avec mon épouse et ma première fille, nous étions dans le long cortège qui défilait entre la place de la République et la place de la Nation. Ce jour-là, j’ai ressenti une immense fierté, j’avais l’impression que je prenais part à quelque chose de grand, d’important, sans encore en mesurer pleinement la portée.  

J’étais conscient d’être venu honorer nos parents qui avaient subi l’esclavage, qui avaient vécu plus de deux siècles sous cette servitude. En revanche, je n’avais pas encore conscience, à cette époque, que j’allais un jour retrouver ces hommes, femmes et enfants de ma famille, mes aïeux qui avaient subi cette atrocité, cette déshumanisation. 

Ces questionnements m’ont amené à explorer mon histoire familiale. C’était à la fois une volonté et un sentiment très fort. Au fil de ce périple, j’ai compris qu’il n’était pas facile pour tout le monde de retrouver ses aïeux et qu’il était essentiel de participer à la recherche de tous ces hommes, femmes et enfants, afin de leur rendre leur dignité et permettre à nos communautés de renouer avec leur mémoire. 

Pour moi, cette connexion avec notre passé est indispensable : elle nous permet, en tant que descendants, de comprendre notre histoire, d’en être conscients et de construire l’avenir en nous appuyant sur notre mémoire familiale.  

Du site « Anchoukaj.org » à la naissance des livres Non an Nou et Non Nou  

« À chaque découverte de noms, j’avais l’impression de donner vie à une personne »  

Le premier travail, auquel je n’ai pas participé fut la mission de photocopier les registres des Nouveaux Libres, pour la Guadeloupe, et les registres des Individualités pour la Martinique. 

Le second a été celui du déchiffrage des registres. Lors de nos séances de recherche des noms au siège du CM98, j’avais à décrypter des noms photocopiés, souvent difficiles à lire et peu clairs. Mais nous nous débrouillions pour tout déchiffrer. C’était long et fastidieux, mais très intéressant. 

À chaque découverte de noms, j’avais l’impression de donner vie à une personne. La sensation était indescriptible. Nous nous aidions également de l’annuaire pour confirmer l’existence des noms trouvés. 

La troisième étape consistait en la correction des registres. Nous avons constaté que certains comportaient des erreurs. Nous nous sommes donc partagé les registres sur lesquels nous n’avions pas encore travaillé, afin de corroborer les informations. 

Par exemple, si j’avais travaillé sur les noms de la ville du Moule, un autre bénévole pouvait relire ces mêmes noms pour éliminer les erreurs. Pour la lecture des registres de la Martinique, nous avons bénéficié de l’aide de l’Association Martiniquaise de Recherche sur l’Histoire des Familles (AMARHISFA). 

En revanche, nous n’avions pas tous les noms, il manquait les registres de 8 communes de la Guadeloupe et 2 de la Martinique. 

Le groupe GBDA a donc du trouvé une méthode pour rechercher ces noms et donc reconstruire « des registres des Nouveaux Libres » pour ces communes. 

À partir des actes rédigés après 1848, il a fallu déterminer le statut des hommes, femmes et enfants (cultivateur, propriétaire d’esclaves…). Dans un premier temps, cette étape, fastidieuse, ne pouvait être réalisée que par des Antillais connaissant les noms de nos aïeux. 

En même temps, il a fallu aussi rechercher des données sur les « propriétaires d’esclaves » et les « affranchis » et créer des fichiers afin de recouper les noms retrouvés pour éliminer des fichiers des nouveaux libres et les noms de propriétaires malencontreusement entrés dans les listes reconstruites. Un travail titanesque! 

La gardienne de vie de Henri Guedon à Sarcelles